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Lorsqu’un même article est déclaré inconstitutionnel à deux reprises

Le 12 août 2019

C’est un article peu connu du code de procédure pénale et, en pratique, trop peu utilisé. Délaissé par les praticiens du droit, il semble l’être également par le Législateur.

C’est ainsi que ce texte a déjà été déclaré inconstitutionnel par deux fois : le 21 octobre 2011 et dernièrement, le 5 avril 2019.

Il s’agit de l’article 800-2 du code de procédure pénale, créé par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.

Sanctionné une première fois en 2011, l’article 800-2 permettait alors à la personne mise en cause et finalement innocentée de percevoir une indemnité au titre des frais qu’elle avait supportés, soit principalement les honoraires de son avocat :

« A la demande de l'intéressé, toute juridiction prononçant un non-lieu, une relaxe ou un acquittement peut accorder à la personne poursuivie une indemnité qu'elle détermine au titre des frais non payés par l'Etat et exposés par celle-ci.

Cette indemnité est à la charge de l'Etat. La juridiction peut toutefois ordonner qu'elle soit mise à la charge de la partie civile lorsque l'action publique a été mise en mouvement par cette dernière.

Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article. »

Dans sa décision n° 2011-190 QPC du 21 octobre 2011, le Conseil constitutionnel avait considéré que l’article 800-2 portait atteinte à l’équilibre du droit des parties dans le procès pénal, au motif que le bénéfice de ses dispositions étaient réservé à la seule personne poursuivie, au détriment des autres parties en défense dans le procès pénal :

« 10. Considérant, en quatrième lieu, que, lorsque l'action publique a été mise en mouvement par la partie civile, les dispositions de l'article 800-2 réservent à la personne poursuivie qui a fait l'objet d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement la possibilité de demander une indemnité au titre des frais exposés pour sa défense ; qu'en revanche, elles privent de la faculté d'obtenir le remboursement de tels frais l'ensemble des parties appelées au procès pénal qui, pour un autre motif, n'ont fait l'objet d'aucune condamnation ; que, dans ces conditions, les dispositions de l'article 800-2 du code de procédure pénale portent atteinte à l'équilibre du droit des parties dans le procès pénal ; que, par suite, elles sont contraires à la Constitution ; »

Les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité avaient été différés, l’abrogation du texte étant alors reportée au 1er janvier 2013.

L’article 800-2 avait été rétabli de façon transitoire par la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 dans une version quasiment identique à celle abrogée : le texte comportait alors les mêmes dispositions, auxquelles un alinéa avait été ajouté pour permettre l’application du texte à la procédure devant la cour de cassation.

Dans un second temps, le Législateur rédigeait, dans la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, un nouvel article 800-2. Ainsi, entrait en vigueur le 1er janvier 2013 la version suivante :

« A la demande de l'intéressé, toute juridiction prononçant un non-lieu, une relaxe, un acquittement ou toute décision autre qu'une condamnation ou une déclaration d'irresponsabilité pénale peut accorder à la personne poursuivie pénalement ou civilement responsable une indemnité qu'elle détermine au titre des frais non payés par l'Etat et exposés par celle-ci.

Cette indemnité est à la charge de l'Etat. La juridiction peut toutefois ordonner qu'elle soit mise à la charge de la partie civile lorsque l'action publique a été mise en mouvement par cette dernière.

Les deux premiers alinéas sont applicables devant la Cour de cassation en cas de rejet d'un pourvoi portant sur une décision mentionnée au premier alinéa.

Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. »

C’est précisément cette version du texte qui était soumis au Conseil constitutionnel par deux civilement responsables[1] en mars 2019.

Et pour la deuxième fois, le Conseil a mis en lumière les lacunes du Législateur dans la rédaction de l’article 800-2 du code de procédure pénale.

En effet, bien que le civilement responsable ait été visé par le texte, l’indemnisation de ses frais irrépétibles[2] dépendait toujours du non-lieu, de la relaxe ou de l’acquittement de la personne poursuivie et non de sa propre mise hors de cause. Or, ce cas de figure n’est en rien théorique : il recouvre l’hypothèse dans laquelle le juge pénal considère que les conséquences pécuniaires de la faute commise par la personne condamnée n’ont pas à être supportées par le civilement responsable. Il en va notamment ainsi en cas de faute personnelle et détachable des fonctions du salarié, du dirigeant d’entreprise ou de l’agent public.[3]

La nouvelle décision d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel est rendue le 5 avril 2019 (n° 2019-773 QPC) au visa des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen[4].

Après avoir rappelé qu’aucune exigence constitutionnelle n'impose qu'une partie au procès puisse obtenir du perdant le remboursement des frais qu'elle a exposés en vue de l'instance, le Conseil précise que « toutefois, la faculté d'un tel remboursement affecte l'exercice du droit d'agir en justice et les droits de la défense ».

C’est donc le principe de l’équilibre des droits des parties au procès qui fonde la décision du Conseil constitutionnel, ce dernier estimant que le civilement responsable mis hors de cause par le juge pénal doit pouvoir obtenir le remboursement de ses frais de procédure, nonobstant le renvoi devant la juridiction de jugement, voire la condamnation, du prévenu ou de l’accusé.

Seul le premier alinéa de l’article 800-2 du code de procédure pénale est déclaré inconstitutionnel, les trois suivants restant en vigueur.

L’abrogation est en outre reportée au 31 mars 2020. Entre temps, le Conseil pose une réserve d’interprétation sur l’alinéa 1, considérant que ce dernier doit dès à présent être lu comme « permettant aussi à une juridiction pénale prononçant une condamnation ou une décision de renvoi devant une juridiction de jugement, d'accorder à la personne citée comme civilement responsable, mais mise hors de cause, une indemnité au titre des frais non payés par l'Etat et exposés par celle-ci. »

Le principe paraît donc clair : toute personne mise hors de cause par le juge pénal, sur l’action publique ou sur l’action civile, doit pouvoir obtenir l’indemnisation de ses frais de procédure, dont font partie les honoraires d’avocats.

Au-delà de la position très juste du Conseil constitutionnel, il est utile d’analyser l’indemnisation desdits frais, tels qu’elle résulte des dispositions réglementaires visées à l’article 800-2 (alinéa 4).

En effet, les alinéas 2, 3 et 4 de l’article 800-2 étant conformes à la Constitution, ils ont donc vocation à être appliqués.

Ainsi, le deuxième alinéa prévoit deux débiteurs de l’indemnité :

- l’Etat, lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le procureur de la République ;

- la partie civile, lorsqu’elle a elle-même mis l’action publique en mouvement, par le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile ou par la délivrance d’une citation directe devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police.

Dans ce cas, la juridiction d'instruction ou de jugement ne peut mettre l'indemnité à la charge de cette dernière que sur réquisitions du procureur de la République et par décision motivée, si elle estime que la constitution de partie civile a été abusive ou dilatoire (article R 249-5 du code de procédure pénale).

Le montant alloué à la partie mis hors de cause est néanmoins limité par l’article R 249-2 du code de procédure pénale : le plafond indemnitaire est celui de l’aide juridictionnelle prévue pour le type de procédure ayant abouti à la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement[5]. S’y ajoute le montant de quelques indemnités prévues au titre des frais de justice.

En d’autres termes, il ne suffit pas de produire les factures de son avocat pour en obtenir immédiatement le remboursement[6], le montant total indemnisable pouvant être sans commune mesure avec les frais réellement exposés.

En l’espèce, il est à craindre qu’Uber B.V. et Uber France SAS, requérants à la QPC, ne supportent une très grande partie des frais de procédure ayant permis d’aboutir à la décision du 5 avril 2019, n° 2019-773 QPC…



[1] Uber B.V. et Uber France SAS.

 
[2] Il s’agit principalement, en pratique, des honoraires d’avocats.

 
[3] Les requérants arguaient également du fait que la partie civile avait la possibilité de demander au civilement responsable condamné de régler ses propres frais irrépétibles, créant donc une inégalité entre parties au procès. Cet argument est critiquable et n’a pas été retenu par le Conseil constitutionnel. En effet, les articles 375 et 475-1 du code de procédure pénale ne visent que l’ « auteur de l’infraction » comme débiteur des frais irrépétibles de la partie civile. Au contraire, le civilement responsable ne peut être tenu de régler ces frais lorsqu’il se trouve condamné au titre de la faute commise par le coupable. La jurisprudence de la chambre criminelle exclut donc que le civilement responsable puisse être condamné à régler les frais de procédure de la partie civile (voir à titre d’exemples : Crim. 12 octobre 1982, n° 81-94.489 – Crim. 19 février 1998, n° 97-80.177).


[4] « 4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ».


[5] Rétributions des avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle :

- instruction correctionnelle avec détention provisoire : 640 € ;

- assistance d’un prévenu devant le tribunal correctionnel : 256 € ;

- assistance d’un accusé devant la cour d’assises : 1 600 €.

 
[6] Voire l’avance…