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La justice pénale à l’heure de l’état d’urgence sanitaire contre le Covid-19

Le 01 avril 2020
Impact de l’épidémie de Covid-19 sur la procédure pénale française - Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 - Odonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 avait posé le cadre légal en autorisant le gouvernement à prendre des ordonnances « afin de faire face aux conséquences, notamment […] juridictionnelle, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation » [1], lesdites ordonnances pouvant prévoir toutes mesures :

  • en matière de délais des procédures pénales [2] ;
  • en matière de compétence territoriale et de procédure de jugement [3] ;
  • en matière de mesures privatives ou restrictives de liberté (garde à vue / détention provisoire / assignation à résidence) [4] ;
  • en matière d’exécution des peines pour les majeurs et les mineurs [5].

L’ordonnance n°2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (« l’Ordonnance ») prend donc plusieurs mesures ci-après détaillées[6].

Nous vous proposons une revue détaillée :

  • des dispositions générales ;
  • des mesures applicables en matière de compétence des juridictions et de publicité des audiences ;
  • des mesures prises en matière de garde à vue ;
  • des mesures ordonnées en matière de détention provisoire.


DISPOSITIONS GENERALES

 

1. Application des dispositions dans l’espace et dans le temps

L’Ordonnance est applicable :

  • sur tout le territoire de la République ;
  • et jusqu’au 24 juin 2020 [7].

 

2. Suspension des délais de prescription

Tous les délais de prescription de l’action publique et de prescription des peines sont suspendus, à compter du 12 mars 2020 et jusqu’au 24 juin 2020 [8].

Il ne s’agit donc pas d’une interruption des délais, de sorte que les délais ne repartiront pas de zéro à l’issue de la suspension actuelle, mais reprendront leur cours normal en tenant compte du nombre de jours déjà écoulés avant la suspension.

Au-delà, l’écoulement des autres délais reste inchangé. Il en va notamment ainsi des délais relatifs aux expertises à l’instruction et, surtout, des délais prévus par l’article 175 du code de procédure pénale, visant la procédure de fin d’information judiciaire.

 

3. Doublement des délais de recours

La durée des voies de recours prévues par le code de procédure pénale est doublée, la durée minimum (une fois doublée) étant de 10 jours :

                   Durée d’appel de droit commun                                   20 jours 

                   Durée de pourvoi de droit commun                    10 jours francs

Au-delà, tous les autres délais restent inchangés. Il en va notamment ainsi des délais relatifs aux expertises à l’instruction et, surtout, des délais prévus par l’article 175 du code de procédure pénale, visant la procédure de fin d’information judiciaire.

 

4. Appels et pourvois à distance

Les appels et les pourvois peuvent être formés :

  • par lettre recommandée avec accusé de réception ;
  • ou par courriel à l’adresse électronique communiquée à cette fin par la juridiction de première instance ou d’appel.

 

5. Demandes d’actes à l’instruction par courriel

Toute demande d’acte, habituellement présentée en vertu des dispositions de l’article 81 du code de procédure pénale, peut être faite par courriel à l’adresse électronique communiquée à cette fin par la juridiction [9].

6. Généralisation du recours à la visioconférence

Toutes les juridictions pénales, à l’exception des juridictions criminelles, peuvent user d’office de la visioconférence. En cas d’impossibilité technique ou matérielle, le juge peut décider d’utiliser tout autre moyen de communication électronique, y compris téléphonique.


SUR LA COMPETENCE DES JURIDICTIONS ET LA PUBLICITE DES AUDIENCES

 
 

7. Désignation d’une autre juridiction du ressort de la Cour d’appel si la juridiction ne peut pas fonctionner

Ce transfert de compétences est décidé par le 1er Président de la Cour d’appel qui en fixe le périmètre par ordonnance, dont le terme intervient le 24 juin 2020 au plus tard [10]. La juridiction désignée est compétente pour les affaires en cours au jour de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er Président, laquelle doit être publiée dans deux journaux diffusés dans le ressort de la Cour d’appel (et par tout autre moyen jugé utile) [11]. 

 

8. Publicité restreinte ou huis clos possibles pour toutes les audiences publiques

Cette décision est prise par le président de la juridiction avant l’audience. Dans tous les cas, des journalistes peuvent assister à l’audience. Les jugements rendus dans ces conditions sont affichés sans délai dans un lieu de la juridiction accessible au public [12]. 

 

9. Remplacement des juges d’instruction par décision du Président du Tribunal

En cas d’empêchement d’un ou plusieurs juges d’instruction, le Président du Tribunal, ou le magistrat qui le remplace si le Président est lui-même empêché, désigne le ou les juges qui remplacent les juges d’instruction. Un tableau de roulement peut être établi.

 

 
DISPOSITIONS RELATIVES A LA GARDE A VUE

  

10. Garde à vue ou rétention douanière : entretien confidentiel et assistance du client à distance

L’entretien confidentiel peut être réalisé par visioconférence, voire par téléphone, dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges. Il en va de même de l’assistance du client au cours de son audition par les enquêteurs [13].

11. Prolongation de gardes à vue sans présentation au magistrat

Ces modalités sont applicables, mais pas obligatoires :

  • pour les gardes à vue des mineurs et 16 à 18 ans,
  • et pour les prolongations de garde à vue au-delà de la 48ème heure, en matière de criminalité organisée [14].


DE LA DETENTION PROVISOIRE
 

 

12. Augmentation des délais maximum de détention provisoire

Les délais légaux maximum de détention provisoire sont augmentés, de plein droit :

  • de 2 mois pour les infractions punies de 5 ans d’emprisonnement au plus,
  • de 3 mois pour les délits punis de plus de 5 ans de prison,
  • de 6 mois pour les crimes.

Le délai de détention provisoire est augmenté de six mois, en matière correctionnelle, pour l’audiencement des affaires devant la Cour d’appel.

Ces délais sont applicables aux mineurs âgés de 16 à 18 ans, mis en cause pour crimes ou pour délits punis d’au moins 7 ans d’emprisonnement.

Ces augmentations ne peuvent être appliquées qu’une fois par procédure.

 

13. Augmentation des délais en cas de comparution immédiate

Les délais suivant sont augmentés :

  • le prévenu placé en détention provisoire par le JLD dans l’attente de son jugement, doit comparaître dans les 6 jours suivant l’ordonnance (au lieu de 3 jours) ;
  • le renvoi des affaires doit avoir lieu dans un délai maximum de 10 semaines, pour les délits punis de 7 ans au plus, et 6 mois, pour les délits punis de plus de 7 ans de prison (au lieu de, respectivement, 6 semaines et 4 mois) ;
  • en cas de renvoi par le Tribunal, le délai de détention provisoire est porté à 4 mois pour les délits punis de 7 ans au plus, et à 6 mois, pour les délits punis de plus de 7 ans de prison (au lieu de, respectivement, 2 mois et 4 mois) ;
  • en cas d’appel par le prévenu détenu, la Cour d’appel doit statuer dans les 6 mois de l’appel (au lieu de 4 mois).


14. Augmentation du délai en cas de comparution différé

L’ordonnance du JLD prescrivant un contrôle judiciaire, une assignation à résidence ou la détention provisoire, doit être suivie d’une comparution devant le Tribunal dans les 4 mois (au lieu de 2 mois).

15. Augmentation des délais pour statuer en matière de détention provisoire

Le JLD dispose de 6 jours ouvrés (au lieu de 3 jours ouvrables), à compter de sa saisine par le juge d’instruction, pour statuer sur une demande de mise en liberté.

La chambre de l’instruction dispose d’1 mois et 10 jours pour statuer sur une ordonnance de placement en détention (au lieu de 10 jours) et d’1 mois et 15 jours pour statuer dans les autres cas (au lieu de 15 jours).

Les délais sont également augmentés d’1 mois pour le Tribunal correctionnel, statuant sur une demande de mise en liberté.

La cour de cassation dispose de 6 mois pour statuer sur un pourvoi (au lieu de 3 mois), le dépôt du mémoire par le demandeur devant intervenir dans les 2 mois de la réception du dossier par la Cour (au lieu d’1 mois).

 

16. Le JLD peut statuer au vu des seules écritures du parquet et de la défense en matière de prolongation de la détention provisoire

L’audience en la matière peut être écartée lorsque la visioconférence est impossible, sauf si l’avocat de la défense demande à présenter des observations orales.

 

17. Augmentation du délai pour statuer, en cassation, sur les arrêts de mise en accusation ou de renvoi

La Chambre criminelle dispose de 6 mois pour statuer, le dépôt du mémoire par le demandeur devant intervenir dans les 2 mois de la réception du dossier par la Cour.

 

18. Augmentation du délai pour statuer, en cassation, sur les arrêts rendus en matière de mandat d’arrêt européen

La Chambre criminelle dispose de 3 mois pour statuer sur les pourvois formés contre les arrêts rendus par la chambre de l’instruction et visés à l’article 568-1 du code de procédure pénale (au lieu de 40 jours).



[1] Article 11, I.-, 2°.

 
[2] Adaptation, interruption, suspension ou report du terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions.

 
[3] Adaptation, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19, parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions.

 
[4] Adaptation, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à ces procédures, les règles relatives au déroulement des gardes à vue, pour permettre l’intervention à distance de l’avocat et la prolongation de ces mesures pour au plus la durée légalement prévue sans présentation de la personne devant le magistrat compétent, et les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires et des assignations à résidence sous surveillance électronique, pour permettre l’allongement des délais au cours de l’instruction et en matière d’audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle, et la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat.

 
[5] Aménagement, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant ou impliquées dans ces procédures, d’une part, les règles relatives à l’exécution et l’application des peines privatives de liberté pour assouplir les modalités d’affectation des détenus dans les établissements pénitentiaires ainsi que les modalités d’exécution des fins de peine et, d’autre part, les règles relatives à l’exécution des mesures de placement et autres mesures éducatives prises en application de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.


[6] A l’exception des mesures applicables à l’exécution de peines.


[7] L’article 2 de l’Ordonnance renvoie à l’article 4 de la Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, qui fixe à deux mois la durée de l’état d’urgence sanitaire, à compter de l’entrée en vigueur de la Loi. En outre, l’article 2 de l’Ordonnance prévoit un délai d’application d’un mois, au-delà de la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Donc 24 mars + 2 mois = 24 mai à 24 mai + 1 mois = 24 juin 2020.

Une précision : l’article 4 de la Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 prévoit que l’état d’urgence sanitaire ne pourra être prolongé que par la loi. En revanche, il peut y être mis fin, avant le 24 mai 2020, par décret en Conseil des Ministres.

 
[8] Sous réserve de modification du terme de l’état d’urgence sanitaire.

[9] L’article de l’Ordonnance prévoit également la possibilité de le faire par LRAR « par dérogation aux dispositions de l’article 81 du code de procédure pénale ». Rappelons que les demandes d’actes par LRAR ont été généralisées par la Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019. L’Ordonnance ne change donc rien sur ce point.

 
[10] Sous réserve de prolongation ou de diminution du délai de deux mois de l’état d’urgence sanitaire.

 
[11] Il convient donc d’assurer une veille sur les sites internet des différentes cours d’appels.

 
[12] A minima le dispositif du jugement.

 
[13] Bien que l’audition libre ne soit pas mentionnée dans l’Ordonnance, il est raisonnable de lui étendre les modalités d’assistance du client au cours de l’audition.

 
[14]             Articles 706-73 et 706-88 du code de procédure pénale.